Messe chrismale 2023 : homélie et photos

« L’Esprit du Seigneur est sur moi ; car il m’a consacré par l’onction ».

Homélie de Mgr Thierry Scherrer – Mardi saint 2023

« L’Esprit du Seigneur est sur moi ; car il m’a consacré par l’onction ». Chers frères et sœurs, au cœur de cette messe chrismale qui nous rassemble ce soir, je voudrais vous inviter à accueillir cette parole telle que Jésus nous la livre, dans la permanence de sa nouveauté, dans la force fulgurante de son actualité pour nous aujourd’hui. Il y a en effet quelque chose de proprement inouï dans la manière dont Jésus s’approprie cette parole messianique relayée par le prophète Isaïe. « L’Esprit du Seigneur est sur moi ». Réentendre cette parole de la bouche même de Jésus, c’est comprendre que le Fils n’est pas seulement celui qui donne l’Esprit, mais aussi celui qui le reçoit. C’est comprendre que, dans l’histoire du salut, l’Esprit Saint n’est pas seulement envoyé par le Fils, mais aussi sur le Fils.   Personnellement, en tout cas, je n’avais jamais perçu autant que cette fois-ci à quel point cette appropriation se trouve comme mise en scène et théâtralisée à travers le récit que nous en offre saint Luc. Nous sommes, faut-il le rappeler, au tout début de l’action missionnaire de Jésus, aussitôt après son baptême et sa tentation au désert. Le Seigneur revient à Nazareth, bourgade où il a grandi. C’est le jour du sabbat. Il entre dans la synagogue, le lieu de rassemblement des juifs pour la prière commune. Et là, Jésus ouvre le livre des Écritures, plus particulièrement le rouleau d’Isaïe que les servants lui tendent ; et il se met à proclamer à haute voix son contenu. « Il trouva le passage où il est écrit : « l’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a consacré par l’onction ». Nous voyons que, dès la révélation du Premier Testament, ce qui est annoncé comme caractérisant l’identité la plus profonde du Messie à venir, c’est sa relation unique, intrinsèque, ontologique, pourrait-on dire, avec la personnalité de l’Esprit. Je relève en passant l’expression « il trouva le passage » qui a quelque chose d’étonnant. On a bien présenté à Jésus le livre d’Isaïe ; mais aucune indication, en revanche, ne lui a été faite quant au choix du texte à lire. C’est lui-même qui le trouve ! Et tandis que tous les regards sont tournés vers Jésus, l’évangéliste nous dit : « Jésus referma le livre, le rendit aux servants et s’assit. » Jésus referme le livre comme pour signifier qu’en sa personne la révélation du Premier Testament se trouve close, désormais, car accomplie une fois pour toutes dans sa propre personne. « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

Mes amis, en quoi cet accomplissement en Jésus de la prophétie d’Isaïe nous concerne-t-il ? Pourquoi est-il si nécessaire, si important, vital même de réentendre cette parole aujourd’hui : « L’Esprit du Seigneur est sur moi ; car il m’a consacré par l’onction » ? Parce qu’elle est au fondement même de notre être de chrétiens baptisés ; parce que cette parole conditionne ni plus ni moins la véracité, la solidité, la pertinence – on dirait aujourd’hui la crédibilité – du témoignage que nous sommes appelés à donner aujourd’hui encore, en 2023, dans ce monde que Dieu aime et où il nous est donné d’exister. Comprenons-le bien : cet Esprit Saint qui a investi de sa puissance l’humanité sainte de Jésus, cet Esprit qui fait de chacune de ces rencontres une visitation d’amour, cet Esprit qui a porté l’offrande de toute sa vie jusqu’au sacrifice du Calvaire, cet Esprit est le même que celui que nous avons reçu à notre baptême et notre confirmation. C’est bien comme Chef, en effet, que Jésus a reçu dans l’onction la plénitude de l’Esprit, et s’il l’a reçue, c’est pour pouvoir la transmettre à chaque membre de son Corps qui est l’Église. Et cet Esprit reçu de Jésus n’est pas un Esprit de peur, mais un Esprit d’audace. C’est l’Esprit qui nous envoie, avec lui et à sa suite, « porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, remettre en liberté les opprimés ».

Aussi, mes amis, en cette messe chrismale, je nous invite à faire un acte de foi en l’Esprit Saint qui habite en nous depuis le jour de notre baptême et de notre confirmation. Croire à ce point à sa présence vivifiante au plus profond de nous que nous parvenions à faire de l’onction de l’Esprit un habitus, en quelque sorte, un style de vie à proprement parler. Ce qu’on désigne aujourd’hui du beau nom de synodalité n’est en réalité rien d’autre et rien de moins que cela. Faire de l’onction un habitus, un style de vie, appelle une familiarité vécue au quotidien dans la prière avec cet Ami et compagnon de chaque instant qu’est l’Esprit Saint. Cet Esprit, en effet, est la sève de vie et de joie qui doit irriguer tout notre être chrétien. C’est une force extraordinaire, la seule force qui soutient l’Église, la seule capable de renouveler notre vie, de secouer sa torpeur, de l’arracher à la tiédeur et la médiocrité. L’Esprit vient fortifier notre faiblesse, habiter notre solitude, il est soutien dans les épreuves, consolation dans nos détresses. Il est feu d’amour qui consume en nous toute racine du péché, il vient nous purifier intérieurement de tout mal. L’Esprit veut nous rendre saints comme Lui-même est saint. Il veut faire de nous des êtres de lumières. Il est celui qui nous communique la bonne odeur, le parfum caché de la sainteté du Christ. Voilà la riche symbolique de l’onction que valorisent les rites de cette belle messe chrismale.

L’évêque Saint Athanase dit que, depuis l’onction reçue à notre baptême, nous sommes marqués d’un sceau qui transmet l’image ou la forme du Christ. C’est magnifique ! C’est dire que l’onction de l’Esprit nous assimile ni plus ni moins à la vie de Jésus. Elle nous enseigne Jésus, nous rappelle Jésus, elle le fait vivre et revivre sans cesse en nous et pour nous. Elle nous pousse dans le même sens qu’elle a poussé Jésus, c’est-à-dire dans le sens de l’amour et du don de soi, un don dans l’amour joyeux et constant, un don joyeux pour être constant. Et cela nous dit on ne peut plus clairement aussi ce que doit être notre vocation de baptisés-confirmés au cœur de l’Église et du monde. Cette vocation, quelle est-elle ? Elle est de montrer le Christ ! D’où la question que tous ici nous devrions être à même de nous poser, chacune et chacun personnellement : à quoi devrais-je ressembler pour que les hommes puissent à travers moi trouver le Christ ? C’est la grande question, la question décisive parce que tout au long de son histoire, le christianisme ne s’est pas diffusé au moyen de grands discours ; il s’est diffusé et répandu grâce à la nouveauté de vie de personnes et de communautés capables d’apporter un témoignage incisif d’amour, d’unité et de joie. Je trouve suggestive cette parole de l’évêque saint François de Sales : « Ne parle du Christ que si on te le demande ; mais vis de telle sorte qu’on te le demande ! » Or ce témoignage n’est donné qu’à ceux qui ont fait et font au quotidien une expérience personnelle de la présence du Christ par le don de l’Esprit.

Au moment où nous allons appeler l’Esprit Saint pour qu’il consacre le chrême du salut pour la vie de nos communautés, c’est la grâce justement que nous pourrions demander les uns pour les autres : la grâce d’être les sacrements du Christ, c’est-à-dire les signes de sa présence et de son amour au cœur du monde d’aujourd’hui. Qu’il en soit ainsi. Amen.

+ Thierry Scherrer
Évêque de Laval